Il ne restait plus qu'à méditer les paroles des mafiosi pour essayer de deviner leur prochaine arnaque. Pour me mettre en forme je rouvris mon portable, et regardai machinalement les appels: Peggy, deux fois, dont la dernière avec message. Je ne pouvais quand même pas la laisser avec des problèmes, maintenant qu'elle n'était plus avec moi, ça ne devait pas lui être facile de se débrouiller. J'écoutai distraitement "James, j'ai besoin de toi...", ça ne m'étonnait pas, "est-ce qu'on pourrait se voir?", j'avais une possibilité ce soir, demain soir aussi, et même tous les soirs, mais ça heureusement personne ne le savait. Je la rappelai, après avoir attendu...peu de temps. C'est le répondeur qui m'accueillit, j'hésitai, "Chérie"? ou "Peggy"?, ou un "Peggy chérie" décontracté ? Trop tard, ça sera neni.
Il fallait maintenant, interpréter l'enregistrement. Le meilleur moyen d'être efficace dans le travail, c'est de faire travailler les autres.
Je pris le téléphone et appelai Richard, un pro en droit public, un vieux copain de fac. On s'était séparés quand, à la fin de la première année, on s'était rendu compte qu'on était les deux têtes de l'amphi, lui comme major, moi à l'arrière. On avait compris qu'on ne se reverrait pas l'année suivante du fait du manque de souplesse du monde enseignant. Malgrè tout la tradition demeurait, et chaque année on se revoyait au mois de janvier; je l'avais vu changer physiquement, lui qui était presque maigre avec des joues creuses s'était progressivement étoffé. Tous les deux on avait suivi des chemins parallèles à ceux de nos porte-feuilles, j'étais resté mince, et lui était plutôt bombé, en fait aujourd'hui il ressemblait à deux pois chiches: un petit pour la tête, au-dessous un gros à faire du houmous pour toute une cantine pendant un an.
Nos chemins professionnels aussi s'étaient séparés, il dirigeait une boite de conseils avec avocats, fiscalistes et régnait entre autre sur six ou sept secrétaires. La ligne directe qu'il m'avait donnée était la bonne:
-"Hi James" son salut à l'américaine était un clin d'oeil, il adorait me rappeler qu'avec mon talent j'aurais pu faire un malheur aux States.
-"Hi Richard" il y avait une constante dans nos rapports, c'est toujours moi qui appelait, et le pire c'est que mes premières phrases ne changeaient pas: "Je crois que je suis sur une grosse affaire", lui répètai-je une nouvelle fois.
-"Ah, oui?" Il aurait au moins pu simuler d'y croire. Tant pis, pour lui je ferai semblant de ne pas avoir compris l'insinuation, de toutes façons je n'avais pas le choix.