Elle n'eut pas besoin de m'expliquer pour que je comprenne qu'il était urgent de ne pas attendre. Nous redescendîmes l'escalier que je venais de prendre, mais au rez-de-chaussée, dans le hall, la foule compacte empêchait d'avancer. Par réflexe on continua de descendre pour atteindre la voiture au deuxième sous-sol, mais je me rappelai tout à coup que la place où je m'étais garé se trouvait au fond du parking, il suffirait aux deux escrocs qui nous poursuivaient, plutôt que de nous rejoindre, de nous attendre en bas de l'escalier à coté de la sortie des voitures.
Il restait quelques marches pour arriver au palier assez large tout repeint de blanc, qui précédait la porte. J'avais ralenti et en me retournant pour voir où en était mon associée, je découvris la croix miraculeuse peinte en rouge à côté de laquelle était inscrit: "Infirmerie". Je poussai brutalement la porte du parking pour qu'elle se referme avec fracas, et j'entrai avec Eva dans l'infirmerie en ouvrant et fermant avec délicatesse cette cloison mobile magique qui nous isolait de ceux que j'entendis dévaler les dernières marches avant qu'ils ne se ruent vers les voitures.
L'infirmerie comprenait une salle d'attente dont il manquait toute les chaises, au fond à gauche une porte avait été murée, au-dessus de l'ancien chambranle était indiqué "Consultations", à droite les toilettes étaient restées accessibles, et devant nous, en plein milieu un barbichu aux yeux pétillants, assis sur une dizaine d'annuaires, était accoudé sur ce qui lui servait de bureau: deux piles de deux caisses en carton solidement scotchées et sur lesquelles était écrit au feutre noir, visible aux visiteurs: "Conseils" avec en dessous "Divorce, faillite, menaces, dettes..." et tout en bas, "CMU". Je prononçais les trois lettres magiques et ajoutai "C'est Roméo qui m'envoie pour une grosse affaire, mais ça doit rester confidentiel". Pour souligner l'importance du dernier mot je me fendis d'un clin d'oeil. "Les toilettes pour handicapés" me répondit-il.
J'ouvris la porte indiquée, puis la refermai rapidement en poussant Eva à l'intérieur quand j'entendis du brouhaha venir du parking.
C'est là que je fis connaissance de BM, Big Mamma. Avec cent vingt litres, l'estimation de tout à l'heure était au-dessous de la réalité, en fait c'était un sumo déguisé en antillaise, le boubou jaune à carreaux verts et la coiffe assortie, encadraient un large visage aux pommettes rieuses. La voix profonde et moelleuse était celle d'un Louis Amstrong femme. "Quel bonheur de vous voir!" son accueil vous propulsait en Martinique, on aurait juré voir l'arbre du voyageur derrière sa tête. Mais voilà, ce qui rappelait les palmes autour d'elle, c'était les attelles les plâtres les gouttières qui ornaient les murs, de toute les tailles, pour tous les membres. "Je vous présente mon service de location, tout est à 15 euros pour une heure, et on laisse son passeport, le vrai, les béquilles sont derrière la porte." lança-t-elle. Eva et moi nous en approchâmes et à ce moment là elle sortit, coincé par la cuvette des toilettes handicapées un fauteuil roulant, qu'elle déplia d'un coup de main avant de s'asseoir dedans et d'annoncer "20 euros". La porte s'ouvrit au même moment, nous cachant de celui qui venait d'entrer. BM lacha un juron en roulant des yeux de démon, j'entendis Joe Pesci s'excuser craignant la fureur de Moby Dick, il repartit aussi vite qu'il était entré.
"Il a eu de la chance que j'étais assise. Vous en voulez un?" nous demanda-t-elle en sortant une petite plaquette de beurre qu'elle se mit à sucer comme un bonbon. "J'ai la bouche sèche" dit-elle pour se justifier. Je baissai les yeux pudiquement, tout sumo a le droit de garder confidentiels, les secrets de sa force.
Je ne devais pas être brillant, mais Eva non plus, on aurait dit une des célébrités de Mme Tussaud revenant d'un sauna.
Le plus dur était passé, mais il fallait maintenant gérer les infos.