Acte II
Même appartement, le mur est propre. Le chambranle de la porte est de couleur criarde. Sur une bâche ouverte sont empilés trois pots de peinture sales, une visseuse, des pinceaux, d’autres pots à côté. Jusqu’à l’arrivée de Laura, Antoine ponce une tâche en épaisseur sur le mur, il est en salopette.
CHRISSIE
(Outrée, regardant les pots)
C’est quoi ça ? Je reçois un ministre, un sénateur, un député et vous vous prenez mon salon pour un container à tri sélectif ? (À son mari) Denis ?
DENIS
(Qui arrive) Oui chérie ?
CHRISSIE
(Désignant les pots de peinture)
C’est toi qui as acheté les cendriers géants de Pollock ? (Se tournant vers lui) ça je ne le supporterai pas ! Je ne serai pas là ce soir si tu laisses ici l’exposition d’art moderne. (Elle sort)
DENIS
(À son fils) ça fait une semaine que tu devais avoir fini les peintures ! Regarde-moi ce travail d’incapable !
PASCAL
Papa ! Moins fort il peut comprendre.
DENIS
Il ne comprend rien, il parle à peine, à se demander s’il n’a pas échappé à l’école obligatoire… Regarde le ponçage qu’il a fait, on dirait le Puy de Dôme vue d’avion… et les couleurs dans le salon! Non seulement il est idiot, mais en plus il bave !
PASCAL
C’est un être simple, tu as vu son faciès ? Sois humain (Antoine le regarde méchamment) Et puis les invités sont vieux, ils mettront ça sur le compte de leur cataracte !
DENIS
Mais regarde-moi cet abruti ! De toute façon quand on ne comprend rien à tout, le résultat est nul. Imagine-le dans une classe à 16 ans avec d’autres! Comment veux-tu que ceux qui étaient
avec lui aient pu s’en tirer ?
PASCAL
Tu as raison… Mais tout le monde ne peut pas entrer à Polytechnique. Et puis, pense à tout ce que tu as fait pour les handicapés à la mairie : un jour il faut passer aux actes.
DENIS
Oui, mais prends un x, en bricolage il va faire une ou deux erreurs, après il réfléchit et dès le lendemain il sait comment faire. Mais lui … il est irrécupérable. Il ferait régresser les handicapés !
Enfin ceci dit, il est idiot mais je ne suis pas d'accord avec toi. Son visage a un petit coté Travolta, il aurait pu faire de la figuration, Enfin… même s’il aurait pu être bon pour « La fièvre du samedi soir », il reste très mauvais pour « Le job du samedi matin ». Or ce soir on reçoit ? N’est-ce pas ?
PASCAL
Ne t’inquiète pas je vais le stimuler. (À Antoine) Dis-moi ce soir : fini. Demain : trop tard. Et trop tard : pas payer. Comprendo ? (Chrissie entre, furieuse)
ANTOINE
Si si señor !
DENIS
Il se moque de toi. Tout n’est pas perdu, il a quelques rudiments d’espagnol.
(Il sort pressentant la tension)
CHRISSIE
C'est épouvantable. Tu as été dans le salon ? (Denis sort) Même les fleurs sentent le pétrole, on dirait qu'elles sont artificielles. (S’adressant à Pascal) Tu aurais pu faire un effort pour ta mère ! Tant de travail pour ce gâchis!... (Elle sort en sanglotant à moitié un petit mouchoir de sa poche et s'en tamponne le nez et les yeux)
PASCAL
(Levant les yeux au ciel) : Maman, c'est à cause de papa que j'ai pris ce paysan de Lozère.
CHRISSIE
(Tournant la tête en colère)
Ne prends pas ta mère pour une imbécile Pascal !
PASCAL
Ma langue a fourché, je voulais dire un type en difficulté.
CHRISSIE
Un espagnol ! Je l'ai entendu en entrant, il parlait espagnol. D'ailleurs, il a une tête d'espagnol.
PASCAL
Mais maman il est français.
CHRISSIE
Peu importe ! Je vais lui parler et je peux te dire qu'il va me comprendre, parce que mes fleurs... (Se tournant vers Pascal et Antoine) ... escucha me, muchacho... la tarde, todo va être terminado, comprendo ? (Denis entre)
DENIS
Qu'est-ce qui te prend de parler en espagnol ?
(Pascal et Antoine sont côte à côte)
CHRISSIE
(parlant d’Antoine mais montrant vaguement les 2 de sa main)
C'est pour qu'il comprenne. (Regard inquiet du père) Tu veux que je lui parle en catalan ?
DENIS
Tu peux lui parler en français.
CHRISSIE
Mais il ne comprendra rien.
DENIS
Ce n’est quand même pas un imbécile.
CHRISSIE
Mais je parle de l'espagnol !
DENIS
Tu es fatiguée toi... on dit parler l'espagnol et pas de l'espagnol.
CHRISSIE
Je ne vais pas lui parler chinois.
DENIS
Tu ne le parles pas.
CHRISSIE
Lui non plus
PASCAL
Vous avez raison, mais qu’est ce que vous avez prévu comme repas ce soir?