Pendant ces vacances je suis parti une semaine dans une île, un grain de sable sur la carte du monde, située presqu'à mi-chemin de trois continents. Les points de vue sont superbes mais l'économie y reste encore balbutiante avec foultitude d'entreprises artisanales et un commerce de proximité morcelé. Pour accrocher une gravure il convient d'acheter la mêche de la perceuse chez un vendeur spécifique, une cheville chez un autre spécialiste et la vis encore ailleurs, je n'évoque pas l'achat du cadre...
De l'un à l'autre je me perdis quelque part entre la capitale et le port commercial pourtant proches.
J'approchai donc d'un rond-point que nulle voiture ne fréquentait même si une cinquantaine de personnes réparties autour, discutaient debout ou assises sur un parapet. Leur particularité venait de l'aspect de chacune d'entre elles: casquette basse, T-shirt, jean, baskets tous élimés et à leurs pieds un baluchon. Leur origine semblait africaine. Je m'avançai, freinai et descendis la vitre en manoeuvrant la manivelle (oui, ça existe encore), un seul fit quelques pas pour m'entendre lui demander:
- Good morning, where is midtown of the capital please?
L'homme leva les sourcils, navré.
- The capital, the big city. Puis, je marmonnai: "comment dit-on la capitale en anglais?"
La réponse arriva immdiatement dans un phrasé rapide:
- Mon ami, tu n'es pas dans la bonne direction, du tout...
- Vous êtes français?
- Non, ivoirien
- Alors c'est fini Gbakbo?
- Oui Ouattara il va nous donner du travail...
Je n'eus pas le temps de poursuivre, une camionnette J4 fatiguée s'arréta brutalement. Cinq ou six personnes coururent vers la vitre avant avec leur valise en tissu. Deux s'engoufrèrent dans le véhicule qui démarra en trombe.
- Mon ami tu m'as fait rater trois jours de travail!
J'allais m'excuser quand un camion avec benne déboula d'une petite rue. L'homme partit plus vite que les autres et après deux phrases de brève négociation il me lança: "Merci, là j'ai dix jours! Garantis..."
Je compris que je venais de découvrir le "Pôle Emploi" local.
Le français que j'étais, habitué aux lois sociales, au Code du Travail avec ses plus de mille pages analysées dans le guide Lefebvre, ce naïf généreux donc découvrait le travail avec ses lois archaïques brutales propres aux sociétés en émergence, avec ses risques non assumés et les contrats aussi légers que le vent. Quel bonheur que celui goutté par chacun dans notre pays... Je repris mon chemin, énivré par les méditations sur la civilisation, ses principes ses droits et ses contraintes.
Le Moyen Âge social existait donc, pas si éloigné que cela de la France.
Il faisait bon de rentrer dans notre pays, chantre de la protection des travailleurs et des aides aux employeurs.
Une fois arrivé j'allai chercher mon courrier au Conseil Général et pensant à la gestion de mon emploi du temps je ratai un embranchement sur l'A4.
"Tout a commencé sur une route perdue, à la recherche d'un raccourci que je ne trouvai jamais" aurait formulé le David Vincent des "Envahisseurs" des années 70.
Je me retrouvai donc devant un hypermarché de bricolage, arrété sur le parking tentant de faire le point sur le moyen de rentrer quand j'entendis frapper au carreau de ma portière, j'ouvris la vitre:
_ Patron je sais tout faire: le carrelage la plomberie et même l'électricité les va et viens, mais je peins aussi...
Un autre le bouscula pour me dire:
_ Moi je fais en plus les faux plafonds...
Je leur fis signe que tout cela ne m'intéressais pas.
Ainsi les TSPS (travailleurs sans protection sociale) allaient remplacer progressivement les autres!
Le problème est que j'étais en plein Val de Marne à deux pas de Saint-Mandé. L'horreur sociale était acceptée sans que personne ne proteste. Ainsi l'enfer du travail existait en France, dans notre département au vu de tout le monde, toléré, admis, complément de la version officielle de l'emploi, soupape pour ceux que les règlements effrayaient, une sorte d'arrière boutique pour la main d'oeuvre, loin de la vitrine, mais dans le même magasin!
Il me reste donc à l'instar de Roy Thinnes "à convaincre le monde qu'un certain cauchemar à commencé..."