DENIS
(D'un ton ronflant et emphatique)
Tu n'as pas compris ce qu'était la politique. Ce dont tu me parles, ce sont les petites récompenses, les hochets. Mais Napoléon les méprisait moins qu'il ne s'en vantait. S'il les a créés et si on les retrouve dans la plupart des pays du monde, c'est parce qu'ils ont une fonction, c'est le symbole d'une action, d'un ensemble de faits qui t'ont distingué des autres. Rappelle-toi, depuis qu'on est tout petit on est fier de ses récompenses. Les "félicitations" que tu as décrochées, tes places de 1er de la classe, ton intégration à Polytechnique... tu en es heureux pour ton avenir, mais tu en es aussi fier parce que ça a été une victoire sur toi et sur les autres. C'est peut-être même cette médaille que représente ta victoire, qui passe devant le reste.
PASCAL
Mais comment acceptes-tu de reconnaître tous ces vieux machins (il désigne du bras le salon de réception) comme généraux ?
DENIS
Parce que c'est malgré leur titre qu'il faudra les battre. Si j'oubliais ça, n'hésite pas à me le rappeler.
PASCAL
Ce sont des mots... tout à l'heure, quand tu as salué le sénateur qui est pourtant petit, tu t'es tellement baissé qu'il en était plus grand que toi.
DENIS
C'est un salut d'attaque comme au judo. Tout à l'heure, après les sourires de bienvenue, je lance l'offensive, Philippe le député viendra m'appuyer au dessert. Ce soir je prends l'investiture et dans un an, le sénateur perd sa place.
PASCAL
Une chance, il va enfin maigrir. Je vais le saluer Mais je ne reste pas longtemps, j'ai un copain à appeler.
(Il sort. Laura arrive)
LAURA
C'est la soirée "Cendrillon"... il n'est pas minuit et pourtant tu es déjà transformé en citrouille. Quant à la duchesse, elle s'est muée en valet... tu l'as écouté son disque rayé ! "Mais c'est un honneur de vous avoir à la maison" ... dix fois au moins !
DENIS
Ce sont les obligations, la courtoisie. (En se frottant les mains) c'est l'ouverture de la partie d'échecs : les pions se saluent.
LAURA
Tu voudrais me faire croire que tout ceci est planifié. Mais ils ne te cèderont rien. Rappelle-toi de mon copain normalien exilé à Terrasson, près de Brive. Il avait accepté une place de chef de Cabinet auprès du député en pensant être récompensé lui aussi par un poste de conseiller régional. Ensuite il devait prendre la place du député. Mais de mandat assuré en mandat promis, il attend toujours. Et quand l'heure sera venue, on lui dira qu'un autre a accepté de se dévouer pour son pays en danger. Généreusement, on l'autorisera à continuer de pondre des discours pour ceux qui l’exploitent.
DENIS
...mmmhh... c'est tout ?
LAURA
Non parce que dans 30 ans on lui demandera de recommencer, et il trouvera ça naturel tellement il aura été habitué à anticiper les désirs de ses bons maîtres.
DENIS
Ta vision est intéressante mais ce qui est convenu, et même prévisible, c'est plus le métier de pharmacien que celui d'homme politique. Car tu oublies l'impondérable, tout ce qui fait la différence entre les sondages et les résultats.
Il est temps de les rejoindre.
(Il sort)
LAURA
Pauvre papa ! Il ne sait pas qu'il lui reste 15 ans de boutique! (Chrissie entre)
CHRISSIE
Vous avez vu ce poussah : Francis Blanche déguisé en homme politique : rusé, vénal, lubrique.
LAURA
Lubrique ? Il ne faut pas tout lui coller.
CHRISSIE
Lubrique je maintiens ; parce que la jeune femme qui l’accompagne ce n’est pas sa 2ème épouse, c’est sa maîtresse, enfin son attachée de cabinet.
LAURA
Le titre évoque la fonction…